Le compte « Twitter » de Monsieur Trump a été supprimé par twitter, et les plus extrémistes de républicains se sont vus fermer le site « parler », en raison d’une surabondance de propos violents, et je veux bien croire qu’il n’en ait pas manqué.

Nos démocraties sont caractérisées par deux choses : la délibération et le vote publics de nos règles communes, établies selon une certaine hiérarchie (Convention Européenne des Droits de l’Homme, Constitution, lois) d’une part et la séparation des pouvoirs, d’autre part.

Cette séparation des pouvoirs organise leur contrôle réciproque empêchant l’émergence d’un absolutisme.

Un troisième principe essentiel chapeaute l’ensemble et lui permet de fonctionner: la liberté d’expression, qui permet à tout un chacun de s’exprimer, voire de dénoncer des abus.

Le principe de la liberté d’opinion suppose que les contrôles quant aux abus qui en seraient faits s’opèrent après coup, et que lesdits contrôles ne soient que l’apanage de juridictions de l’ordre judiciaire étatique, qui fonctionne avec toute une série de principes et de garanties obtenues de haute lutte au fil des siècles.

Qu’observe-t-on ? Au lieu d’avoir une « agora » où le débat public est serein, nous avons assisté, qu’on le veuille ou non, à l’émergence des réseaux sociaux qui sont plutôt des « arenas » où les plus radicaux d’entre nous s’affrontent en votant des milliers voire des millions de fois.

Sur les réseaux sociaux, tous les messages n’ont en effet absolument pas la même force, et le principe même de fonctionnement de ces réseaux favorise les réactions émotionnelles, qui suscitent infiniment plus de réactions que des débats posés et raisonnés, donc plus de vues, donc plus de revenus publicitaires. A cet égard, très inspiré de l’excellentissime livre intitulé « La civilisation du poisson rouge », je vous invite à relire cet article.

Quand vous vous rendez sur un réseau social, vous adhérez à la « loi » du réseau social, en l’occurrence, ses conditions générales, qui permettent à l’exploitant de faire la police de son site, c’est-à-dire qu’en acceptant que le modérateur fasse son travail qui paraît bien innocent, vous acceptez de subir éventuellement une police de l’opinion.

Il s’agit ici d’une police privée, absolue, qui décide de tout, en ce compris du traitement des plaintes et des sanctions, mais peut aussi tout simplement vous refuser l’accès, ce qui vu le poids de certains réseaux sociaux équivaut à vous condamner à une sorte de petite mort civile.

On voit ici que cela peut aussi interférer avec le jeu démocratique.

  1. Trump a certes démontré sa dangerosité, mais la censure ne me paraît pas une bonne chose, et cela fait un moment qu’elle ne cesse de croître.

Ce n’est pas juste conjoncturel : cela fait quatorze ans consécutifs que les démocraties reculent partout.

La censure vient de franchir un pas de plus, étant en l’espèce 100 % privée dès lors qu’elle est le fait de Twitter, Facebook ou Amazon (cette dernière société hébergeant le site « parler »).

La privatisation du droit et la concentration du pouvoir viennent de s’amorcer dans une nouvelle dimension.

Etant donné que Monsieur Obama a bien plus fait la guerre à l’étranger que son successeur, je ne suis pas certain que laisser les structures américaines de plus en plus hors de portée des critiques de l’opposition, aussi virulente soit elle, soit peu dangereux ou « moins dangereux » que de laisser faire le jeu démocratique et la liberté d’opinion, quitte à en sanctionner les abus comme on l’a toujours fait jusqu’ici, l’incitation à la haine, à la guerre, à la sédition… n’étant nullement des infractions nouvelles.

Je suis heureux de lire qu’Angela Merkel condamne ces décisions des réseaux précités et semble partager mon opinion.

Au fait, ça ne date pas d’hier, ces débordements de Trump et des plus virulents de ses supporters ! Pourquoi avoir attendu jusqu’à ce qu’il perdre les élections pour adopter cette attitude, si ce n’est pour se ménager les bonnes grâces d’une administration démocrate qui pensait démanteler certaines sociétés gigantesques ?

La base même des décisions des réseaux précités ne serait-elle pas, à bien y regarder, plus malsaine que vertueuse ?

On pourrait aussi penser que le sujet ne concerne « que » des minorités extrémistes, mais ce n’est absolument pas le cas. Aux USA, le pays-capitale du modèle démocratique dans le monde, erronément qualifié souvent de « première démocratie du monde » alors que c’est l’Inde qui tient cette place, près d’un américain sur 3 (28 %) estime que le résultat de l’élection présidentielle a été acquis grâce à “des votes illégaux ou à une fraude électorale” (sondage Ipsos pour Reuter – NB :les votes électroniques, et tous ceux des états « bascules » ont été comptabilisés par un serveur basé en Allemagne, sachant que ces serveurs fonctionnent avec un logiciel chinois).

Nous sommes dans un contexte difficile à imaginer en Europe : un américain sur cinq considère l’invasion du Congrès comme légitime et se déclare prêt à soutenir de nouveaux évènements insurrectionnels d’une ampleur similaire. C’est un sondage du gouvernement (yougov relayé sur twitter, d’ailleurs). Pire : 76 % des Démocrates et 81 % des Républicains disent à présent qu’ils ne sont d’accord sur rien avec l’autre camp y compris sur les faits les plus essentiels. Ce n’est toujours pas moi qui le dit, c’est le Pew Research Center, l’institut national de statistiques américain.

Cela signifie qu’il va devenir très difficile de gouverner un pays dans de telles conditions, et quant à continuer à le faire vivre de façon crédible…

Ces questions vont bien au-delà du point de vue patrimonial (investiriez-vous dans un pays qui vient de faire l’objet d’une tentative de coup d’état et où les sociétés commerciales les plus puissantes organisent la censure tout en sachant que ce pays abrite deux camps qui ne sont d’accords sur rien l’un avec l’autre, même pas les faits ?).

Espérons que le mouvement qui s’observe et qui voit les Républicains et, plus généralement, les petits comme de plus en plus de grands entrepreneurs quitter les grandes villes (comme New‑York) ou les états « de gauche » comme la Californie pour rejoindre le Texas ou la Floride, par exemple, sera tout ce qui s’accentuera (Hewlett Packard Enterprises, Oracle, 8VC, FileTrail, QuestionPro, le PDG de Droppbox ont rejoint Houston ou Austin, rien que cette année ; la Gigafactory de Tesla est dans le Nevada et non en Californie, berceau de la marque…).

Tous les entrepreneurs ne cherchent pas forcément à s’attirer les bonnes grâce du nouveau pouvoir et tous ceux qui ont une sensibilité plutôt républicaine et une fibre entrepreneuriale déconnectée du secteur public ne sont pas forcément des gens qui envahissent le Capitole armes à la main.